INAUGURATOR : 50% machine, 50% humain, 100% politicien

Nous sommes au XXIᵉ siècle, en l’an 2025 plus précisément : comme l'avaient prophétisé certains auteurs de science-fiction il y a déjà plus d'un siècle, l'ordinateur a finalement pris le pas sur l'homme et c'est désormais l'intelligence artificielle qui dicte ses règles à l'Humanité sur le déclin.

Peu à peu, les cyborgs ont remplace les êtres humains et ce sont eux à présent qui régentent les affaires publiques; leurs absences d’empathie et d’états d’âme en font en effet des politiciens idéaux. Grâce à eux, plus de problème de sommeil, de fatigue, ni même de limite d'âge. Ils votent, budgétisent, statuent, légifèrent sans jamais s'interrompre et sans qu’aucune émotion ne vienne perturber leur processus décisionnel, seulement animés par la logique de leurs bits.

Le pectoral saillant, le brushing impeccable, teinture bronze à l'oxyde de titane, sourire Colgate 2.0, voici l'histoire du cyborg le plus abouti de cette nouvelle ère technologique : un prototype si convaincant qu'il a même inspiré le réalisateur James CAMERON pour son film primé en 1985 au festival d'Avoriaz. Pour l'anecdote, le cinéaste canadien lui a d'ailleurs rendu hommage lors d'un discret clin d'œil au début du film, lorsque son célèbre robot tueur débarque lui aussi sur l'écran, nu comme un ver.

INAUGURATOR : 50% machine, 50% humain, 100% politicien.

Sa programmation interne est simple et binaire : inaugurer, inaugurer sans cesse, inaugurer coûte que coûte.

Un festival de Mode ? Il coupe le ruban plus vite que son ombre.


INAUGURATOR à l'annexe
de la Villa Noailles

Une plaque commémorative ? Aussitôt, son bras hydraulique la dévoile, sans jamais trembler.

Un nouveau bâtiment ? Il pose sans sourciller la première pierre, aussi lourde soit elle, pendant que ses servomoteurs ajustent son sourire en fonction de l'intensité des flashs, babine en latex retroussée, implant dentaire toujours étincelant devant les photographes.

Tout ça avec une précision robotique : pas une fausse note, pas un faux pli. Le cyborg au costard bleu marine est là, programmé pour toujours honorer les délais, couper des rubans, prononcer des allocutions et serrer des mains moites (en veillant à ne surtout pas les broyer).

Peu importe que la place Clémenceau ne soit pas terminée, que les toilettes publiques ne soient pas encore ouvertes, que l’ascenseur présente déjà des signes de faiblesse, que l’éclairage prenne l’eau et que les brumisateurs de la fontaine centrale soient presque aussitôt condamnés en raison du risque de  légionellose, INAUGURATOR est fermement résolu, droit dans ses bottes : il enclenche la vitesse et fonce, façon bulldozer.


INAUGURATOR sur la place Clémenceau
(30 mars 2019)

L’espace 3000 menace de s’écrouler ? En une micro-seconde, le cyborg envisage toutes les possibilités (lire ici), vérifie tous les plans à la vitesse de l'éclair afin de s'assurer que la « nouvelle » structure soit prête juste avant les prochaines élections – quitte à faire pour cela exploser les budgets ?

INAUGURATOR scanne un à un
les nouveaux plans de l'Espace 3000

INAUGURATOR doit aller vite, plus vite, toujours plus vite, c’est imprimé dans ses circuits.

Face à un calendrier électoral extrêmement contraint, la machine s'emballe à l’approche de chaque suffrage et la courbe d'inaugurations ressemble alors à la trajectoire d'une fusée d'Elon MUSK : stratosphérique !

Pour le Centre Commercial du Nautisme, rien n’est prêt, le chantier dérape, les délais ne sont pas respectés.

INAUGURATOR décide alors de prendre le taureau par les cornes et enfreint délibérément le protocole 55K que ses créateurs avaient pourtant mis en place dans son système d'exploitation afin qu’il ne puisse pas aller à l'encontre des lois budgétaires universelles.

Une fois l'interdit levé, il fonce alors tête la première : le 26 avril 2019, le décor en carton-pâte est en place, le spectacle peut commencer.

Le sol tremble légèrement lorsqu' INAUGURATOR s’avance, la démarche chaloupée, le brushing au garde-à-vous, des oursins sous les bras, fin prêt pour inaugurer le CCN et la Base Nautique.

Donnant le change, il se fend alors d’un discours qui pourrait ressembler à s’y méprendre à des inflexions de voix humaine, s’il n’était pas légèrement surarticulé.


INAUGURATOR à la Base Nautique (26 avril 2019)

Sur le port, les badauds applaudissent.

Sur la photo, tous les élus sourient et applaudissent mollement.

Les trompettes retentissent. Le ruban tombe au sol.

Le bâtiment est livré… à temps.

Mission accomplie !


Mais dans les profondeurs et les méandres numériques de l'administration du système, une autre IA veille, encore plus redoutable : le CRC (Cyborg Relevant les Conneries) qui, implacable, vérifie minutieusement toute la comptabilité.

D’un simple scan, son œil à visée laser repère immédiatement l’anomalie : une ligne budgétaire consciencieusement dissimulée dans un fichier Excel crypté.

Mieux vaut tard que jamais et c'est donc cinq ans après qu'éclate enfin la vérité : le cyborg a bel et bien outrepassé les verrous humains et enfreint délibérément le protocole 55K... puisque 55 K€ d’heures supplémentaires ont été réclamées (par les 2 entreprises VIGNA et  ERGC cotitulaires du macro-lot N°1 Ndlr) afin qu’INAUGURATOR parvienne à terminer le chantier du CCN dans les délais.

Extrait du compte rendu de chantier N°44 du CCN


Réclamation des heures supplémentaires
par les entreprises VIGNA /ERGC
(45 600 € HT / 54 720 TTC)

C'est ainsi que, malgré quelques écrans de fumée savamment orchestrés, l'affaire du CCN passera finalement à la postérité dans le désormais célèbre rapport du CRC qui épingle 129 réserves, 578 anomalies, 1 352 632 € de fausses factures et de malfaçons, sans parler des 55 000 € d’heures supplémentaires réclamées par les sociétés pour réussir à inaugurer à temps.

Sentant la situation inexorablement lui échapper, le cyborg commence alors à vaciller. Dans un grésillement, la belle mécanique si bien huilée se grippe, son brushing défrise à cause de la surchauffe processeur, des tics sur son visage impassible commencent à apparaître, sa diction se fait hésitante, saccadée, le logiciel cafouille et bugge, on voit des étincelles jaillir de ses oreilles : le court-circuit est imminent !

INAUGURATOR s’arrête tout à coup, le regard vide, un filet de silicium coulant au coin des lèvres.

Et dans un dernier souffle, rauque et métallique, il livre alors une ultime confession au sujet du CCN : « J’ai… terminé… à tort. ».


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Dans un de nos prochains articles, c'est avec grand plaisir que nous revisiterons à nouveau l'univers fascinant du génialissime réalisateur James CAMERON pour vous livrer une version très personnelle et évidemment satirique, librement adaptée d'un autre de ses films culte...

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