Centre Commercial du Nautisme : quand ANTICOR s'emmêle

Le Centre Commercial du Nautisme sur le port d’Hyères, un dossier sulfureux qui colle depuis bientôt 6 ans à la municipalité comme un vieux chewing-gum à la semelle d’une chaussure.

Bien qu’elle ait déjà fait l’objet de plusieurs articles dans le journal local, de 3 signalements au procureur de la République et qu’elle soit aujourd’hui sur le bureau du procureur général du parquet financier de Paris, nous avons souhaité vous présenter cette histoire sous un éclairage inédit.

Voilà comment l’association ANTICOR s’est retrouvée mêlée au dossier du CCN.

Notre histoire commence en 2018 avec la requalification de la base nautique et du Centre Commercial du Nautisme sur le port d’Hyères, un marché public dont le montant total s'élève tout de même à environ 6 millions d'euros.

Pendant plus de dix-huit mois, le chantier traîne en longueur tandis que les commerçants du port se désespèrent ; constatant au fur et à mesure de l’avancement du projet d’inquiétantes malfaçons voire même de graves impasses sur certains des travaux prévus qui seront pourtant payés rubis sur l’ongle par la commune.

Pressé par le maire de tout finir à la date prévue d’inauguration, le directeur général des services techniques de l’époque, tout droit venu de Saint-Cyr-sur-mer dans les valises de notre édile, sera alors poussé à la faute et finira même sa carrière au placard tandis que son successeur sur ce dossier épineux préférera partir à la Crau plutôt qu’en garde au vue.

C’est ainsi que malgré 578 anomalies et 129 réserves, l’inauguration eu lieu en grandes pompes le 26 avril 2019.


Inauguration de la base nautique (26/04/2019)

Parmi les réserves sur cet Etablissement Recevant du Public (ERP), certaines touchent pourtant directement à la sécurité des personnes, comme la dangerosité du vitrage (portes, fenêtres et baies vitrées) ou bien encore la dalle de toit surchargée par une couche d’étanchéité de trop (un peu comme à l’Espace 3000) mais la commission de sécurité était apparemment ce jour-là plus clémente que lors de sa future visite à l’école Michelet !

Fissures sur la baie vitrée de la salle de réunion
(qui accueille déjà du public...)

Entrée de l'espace nautique


(Photos prises 3 ans après l'inauguration)

Inquiets, puisque ce sont eux au final qui paieront la facture (le loyer mensuel de leurs locaux commerciaux passera de 7 à 10 €/ m² pendant 30 ans pour rembourser le montant des travaux), les commerçants du CCN décident fin 2018 de contacter l’association ANTICOR, une des principales ONG françaises de lutte contre la corruption.

Ce dossier était effectivement du pain béni pour ANTICOR : Plus d’ 1,3 million d’euros de travaux non réalisés (vide sanitaire, toiture, etc.) ou avec des matériaux de moindre qualité (on remplace par exemple l’inox prévu pour les rambardes par de l’acier galvanisé beaucoup plus économique, qu’on facture malgré tout au prix fort de l’inox), fausses factures, « saucissonage » du marché (pour rester sous certains seuils critiques de passation du code des marchés publics), vitrages dont les certificats sont visiblement des faux (l'étiquetage présent sur les vitres ne correspond pas à la qualité de vitrage indiquée sur les factures) et qui se fissurent dès leur pose, des m² facturés de façade (2764 m²) qui ne sont pas du tout cohérents avec ceux prévus au marché (1868 m²), des experts menacés physiquement par les entreprises prises le doigt dans le pot de confiture (lire ici). Sans compter le million d’euros d’argent public détourné puisque la commune s’est débrouillée pour faire payer aux commerçants certains travaux qui concernaient pourtant des bâtiments municipaux.

Et, cerise sur le gâteau, la présence du plombier préféré du maire (lire ici) qui participe aux réunions de chantier et réalise des travaux au CCN alors qu'il ne fait pourtant visiblement pas partie de la liste officielle des entreprises titulaires du marché (rassurez-vous, nous y reviendrons en détail dans le deuxième volet du clan du Saint-Cyrien, prévu au dernier trimestre 2024).

Mais ce que ne savent pas encore les commerçants du port, c’est qu'en contactant ANTICOR, ils viennent surtout de croiser la route de Jean GALLI-DOUANI, le surprenant responsable varois de cette association de lutte contre la corruption.

Ils se sentent tout d’abord en confiance puisque que, même si c’est un personnage assez particulier, taiseux, au passé politique qui contraste quelque peu avec le principe de neutralité prôné par cette association (il était en effet colistier de la liste FN aux municipales de la Seyne-sur-mer en 2014), c’est un « crack en droit portuaire » comme il se présente modestement lui-même.

Pour eux, c’est enfin le bout du tunnel, le dossier est entre de bonnes mains, expertes et, surtout, incorruptibles.

Sauf que le dossier va ensuite traîner en longueur ; le référent varois, qui n’est visiblement pas de très bonne constitution, enchaîne les pépins de santé qui l’auraient selon lui empêché de déposer son signalement au procureur de la République dès septembre 2021 comme il s'y était pourtant engagé. Ensuite, il aurait attendu à deux reprises le feu vert des avocats d’ANTICOR sur son projet de signalement, ou bien encore des documents apparemment manquants ou incomplets de la part des commerçants.

Difficile à admettre pour les adhérents hyérois de cette association qui ont monté avec les commerçants du port tout le dossier, mâchant presque le travail du responsable varois. Pour eux, ce signalement aurait pu facilement être bouclé dès l’été 2021.

Sans nouvelles de Jean GALLI-DOUANI désormais aux abonnés absents, ils se décident alors à écrire en septembre 2022 au comité éthique de l’association, le seul mail qu’ils ont réussi à trouver sur le site d'ANTICOR. Car à part le référent varois, ils n’ont jamais eu aucun autre contact avec cette association qui cloisonne l’information un peu à la manière du système mafieux qu’elle dénonce.

La réponse du comité éthique ne tardera pas à tomber : aucun projet de signalement n’a jamais été envoyé par le référent varois à leurs avocats parisiens !

C'est à cet instant précis qu’adhérents hyérois d’ANTICOR et commerçants du port comprennent enfin la remarque sibylline du responsable départemental qui, lors de sa réunion en visio-conférence (COVID oblige) avec le maire d’Hyères le mercredi 3 novembre 2021, lui aurait « proposé ses services pour régler le bazar » au centre commercial du nautisme. Car Jean GALLI-DOUANI met non seulement bénévolement son expertise portuaire à disposition d’ANTICOR mais également à celle des communes par le biais de sa société de conseil en gestion portuaire, moyennant finances cette fois-ci, cela va sans dire.

Plutôt étonné de la réponse du comité éthique, un des adhérents hyérois leur renverra un mail afin de les alerter sur le conflit d’intérêt manifeste de leur responsable départemental avec sa société de conseil, en déplorant par la même occasion le temps précieux que leur « crack » leur avait fait perdre dans ce dossier.

Mais, contre toute attente, plutôt que d’investiguer davantage en ce sens, le comité éthique préférera prendre la défense de son cadre varois et, droit dans ses bottes, ira même jusqu’à menacer le « délateur » hyérois de poursuites judiciaires pour diffamation.

Sauf qu’un an plus tard, un article du journal Libération confirmera les soupçons de cet adhérent (qui a depuis démissionné d’ANTICOR Nldr) puisque le journaliste pointera du doigt dans plusieurs communes littorales les agissements pour le moins troublants du responsable varois d’ANTICOR qui n’en était visiblement pas à son coup d’essai…

A Cogolin, il a en effet utilisé le même modus operandi ; se présentant avec la casquette « ANTICOR » à la mairie pour dénoncer des irrégularités dans leur gestion avant de tendre sa carte de visite et monnayer les services de sa société de conseil.

Voilà quelques extraits de l’article du journal Libération datant du 15 novembre 2023 (à lire ici dans son intégralité) :

Plusieurs de ces affaires ont été révélées par une association d’opposants locaux, Place publique, rapidement contactée par le référent ANTICOR du coin, Jean GALLI-DOUANI. L’homme, aujourd’hui âgé de 67 ans, référent depuis 2017, se présente à Place publique comme un crack en droit portuaire. Il est à l’origine d’un signalement contre la mairie voisine de Cavalaire, autour de l’attribution d’un marché public lié à son port, qui a donné lieu à une instruction sur des soupçons de corruption.

Jean GALLI-DOUANI réclame à Place publique l’ensemble de ses preuves sur Cogolin, censées servir à un signalement d’ANTICOR. Mais celui-ci n’arrive jamais. Très vite, GALLI-DOUANI ne donne plus de nouvelles. En fait, une fois renseigné sur les dossiers du maire, l’homme, qui par ailleurs a été candidat en 2014 sur une liste FN aux municipales, a vendu ses services en tant que « consultant » à Marc-Etienne LANSADE (le maire de Cogolin Ndlr). Le voilà embauché pour du « conseil en matière de marchés publics », de septembre 2019 à décembre 2020, et muselé par une très pratique clause de confidentialité. Dans plusieurs de ses contrats, consultés par Libération, on peut lire que Jean GALLI-DOUANI est interdit d’ « utiliser ou révéler toute information apprise ou à laquelle il aura contribué dans la durée » de sa mission. Pendant cette période, il est rémunéré 2 000 euros mensuels (hors taxe) par la ville, hors frais de déplacements. Auxquels s’ajoutent, selon les dires de Jean GALLI-DOUANI lui-même, 2 000 euros supplémentaires mensuels de la Régie du port de la ville, qui l’emploie aussi.

« Le maire de Cogolin lui a donné accès à ses dossiers », raconte une source proche de la mairie à Libé. Et, au bout d’un moment, GALLI-DOUANI est revenu en expliquant avoir repéré plusieurs problèmes. Ensuite, il a dit : « Je veux bien mettre de l’ordre là-dedans, mais il me faut une mission de conseil ». Ce n’est pas du chantage, c’est plus fin. Il distille une ambiance de méfiance et vous fait croire que, grâce à lui, vous allez trouver les solutions pour en sortir. Quand vous vous rendez compte que tout ce qu’il dit est bidon.

Curieuses similitudes avec notre dossier, mais également avec celui de Bormes les mimosas où, d’après nos informations, notre loustic aurait procédé de même ; proposant également ses conseils portuaires sans réussir cette fois-là à parvenir à ses (aigre)fins.

Au-delà du discrédit porté sur cette association qui prône pourtant l’éthique dans la vie politique, ce qui est regrettable dans ce dossier, c’est qu’un an avant cet article, le comité éthique d’ANTICOR avait déjà été alerté sur les agissements « border line »  de son référent local.

A Hyères, à part nos deux protagonistes nul ne saura évidemment jamais ce que ce sont dit exactement Jean-Pierre GIRAN et Jean GALLI-DOUANI lors de leur visio-conférence. On peut seulement exclure des GALLI-pettes vu la distance qui les séparaient, l’un étant à Sainte Maxime et l’autre à Hyères, même si le doute reste permis lorsqu’on connaît le penchant de l’un d’entre eux pour le phone-sex…

Plus sérieusement, nous avons vérifié qu’aucun contrat n’a été passé entre la commune et notre consultant si spécial, bien qu'il ne faille pas être candides, il existe des tas d’autres manières de trouver un arrangement !

Et même s'il n'y a peut-être pas eu forcément eu de chantage au signalement, force est de constater que le « silence » du référent local a servi les intérêts du maire, lui permettant de couvrir ses arrières (au sens figuré, bien entendu).

C'est ainsi que le 19 novembre 2021, soit deux semaines après sa réunion en « visio » avec ANTICOR, le maire fera voter en conseil municipal le transfert de 965.686,26 € TTC au budget du port, afin de « régulariser » la situation des travaux sur des bâtiments communaux, ce que lui demandaient en vain les commerçants du port depuis déjà près de trois ans.


Délibération N°7 du conseil municipal du 19/11/2021

Deux ans plus tard, le 26 juin 2023, le maire finira par faire un signalement au Procureur de la République (selon l’article 40 du code de procédure pénale Ndlr), suite à une 6ème expertise réalisée depuis 2018, qui chiffrera cette fois-ci le montant total des malfaçons et des fausses factures à 1.352.632 €.


Article du journal Var-Matin (22/12/2023)

Détail amusant (ou consternant, vous choisirez) : lors du conseil municipal du 8 décembre 2023, lorsque le maire fut interrogé sur les malfaçons du CCN par Karine TROPINI élue d’opposition du groupe HTN en conseil, il invoqua alors « peut-être 500 000 € » de préjudice alors qu’il savait pertinemment à ce moment-là que le montant exact était près de trois fois supérieur, expertise du cabinet GRANT THORNTON à l’appui.


Extrait du conseil municipal du 8/12/2023

Bien plus que nous, il lui sera probablement assez difficile de convaincre les magistrats de la sincérité de son signalement tant il arrive tardivement dans la procédure : plusieurs semaines après que deux premiers signalements aient été déposés par des tiers (dont un a conduit la Cour Régionale des Comptes à s’intéresser de près à ce dossier), un an et demi après la réunion d’ANTICOR et presque 5 ans jour pour jour après que les commerçants aient commencé à avertir le maire, sa directrice des services et son directeur des services techniques sur les « dérives » de ce chantier dont ils avaient tous, preuves à l’appui, parfaitement connaissance dès cette époque.

D’ailleurs, pourquoi faire un signalement puisque la commune avait tous les éléments pour pouvoir directement porter plainte (contre X éventuellement s’ils avaient encore un doute sur les responsables) ? Sauf à vouloir peut-être faire bonne figure devant la presse et les élus sans forcément souhaiter faire de vagues (ce qui est plutôt prudent puisque, rappelez-vous, nous sommes dans un espace nautique), quitte à ne pas donner suite au signalement lorsque la mer aura fini par s’apaiser. Car au-delà du maître d’ouvrage mis directement en cause par le maire, certains de ses chefs de services ainsi que son ami plombier pourraient bien être alors également éclaboussés.

Sans doute qu'après plus de 40 ans de vie politique, Jean-Pierre GIRAN est devenu expert dans l’art de l'effet d’annonce qu'il pratique aujourd'hui avec maestria ; assurant mordicus avoir déposé plainte (l’agression de Chantal PORTUESE, son téléphone « piraté », notre article sur le clan du saint-cyrien, etc.) alors que, la plupart du temps, il n’en est rien… Tactique parfaitement rodée qui s’avère bien pratique lorsqu’il s’agit d’éteindre un incendie tout en évitant les questions embarrassantes des enquêteurs.

Reste maintenant à savoir quelles seront les suites judiciaires données par le parquet national financier pour le CCN et par le juge d’instruction pour Jean GALLI-DOUANI, soupçonné de corruption (un comble) et de trafic d'influence ?

Quant aux commerçants du port, ils devront encore prendre leur mal en patience puisque, plus de 5 ans après l’inauguration du CCN, leurs problèmes sont encore loin d'être résolus.

Aussi édifiante soit-elle, on espère vraiment que cette histoire, sur fond de fausses factures, de corruption et d'argent public détourné, vous aura plu même si, pour être tout à fait honnêtes avec vous, nous n’avons eu aucun mérite cette fois-ci à vous la raconter puisque l’adhérent hyérois menacé de plainte par le comité éthique d’ANTICOR pour avoir dénoncé les agissements de Jean GALLI-DOUANI n’est autre que le rédacteur en chef du gabian déchaîné…



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